Plus de 17. 000 adultes en situation de handicap vivent dans d’immenses centres résidentiels, dans des conditions ne permettant pas le développement de leur autonomie, et 67% d’entre eux resteront en institutions jusqu’à la fin de leur vie. De plus, la dernière évaluation nationale de l’Institut des Politiques Publiques (IPP), montre que l’Etat préfère financer une assistance passive dans des grands centres résidentiels, certains hébergeant jusqu’à 350 personnes, plutôt que de soutenir le développement de services au niveau de la communauté. Et ce, malgré l’engagement de la Roumanie pour assurer aux personnes en situation de handicap des conditions de vie indépendantes au sein de leur communauté, à travers la ratification de la Convention relative aux droits des personnes handicapées de l’ONU.
La situation présentée à l’occasion de la journée internationale des personnes handicapées est triste, et derrière les chiffres se trouvent des hommes confrontés à des drames difficiles à imaginer pour ceux qui ne sont jamais allés dans les « centres-mammouths », où ces personnes sont isolées de la communauté.
Il y a un mois, l’équipe de SERA ROMANIA a visité un centre de ce type, que la fondation avait aménagé à Târgu Jiu en 2006, afin d’accueillir les adultes de l’ancien camin-spital de Bîlteni, dont la majorité était en situation de handicap grave.
Aujourd’hui, plus de 160 personnes avec différents types de handicap sont logés dans un bâtiment de trois étages, ressemblant à un internat. Nous avons trouvé dans la cour des dizaines d’adultes qui ne savent pas quoi faire de leurs journées dans cet environnement où tous les jours se ressemblent. Des dizaines d’autres sont dans le réfectoire où une partie du personnel les surveillent ou les aident à manger. A peine rentrés dans la salle, le bruit strident des cuillères contre les assiettes en fer donne envie d’en sortir. Même pour quelqu’un habitué à travailler avec des personnes en situation de handicap, ce « paysage » fait d’une multitude d’adultes qui se précipitent sur nous comme des enfants, pour nous parler, généralement de manière inintelligible, est impressionnant.
Toutefois, l’aspect le plus dramatique est « caché » au cœur du centre, là où se trouvent les pensionnaires grabataires, ceux qui passent leur vie dans un lit ou un fauteuil roulant. Les représentants de « l’Etat roumain qui préfère financer une assistance passive dans des grands centres résidentiels » n’ont certainement jamais franchi le seuil d’un tel centre. Un centre dans lequel les visages tailladés de ceux qui s’automutilent, les yeux pleins de larmes des impuissants abandonnés, l’image de ceux que le destin a défigurés sans pitié et les regards perdus dans le vague se sont retrouvés pour une longue agonie.
Ceux qui traitent avec indifférence ces hommes-là n’ont certainement jamais regardé dans les yeux les médecins, les infirmiers et les aides-soignants qui passent leurs journées dans ces lieux éloignés des communautés, à essayer d’adoucir la vie de ceux qui, nés avec un handicap ou devenus handicapés, ont été abandonnés. Dans le centre de Târgu Jiu, le nombre d’employés est inférieur au nombre de pensionnaires, alors que ces derniers sont complètement dépendants du personnel qui les surveille et sont, de plus, imprévisibles. Trois à quatre personnes sont nécessaires pour immobiliser un adulte en crise. Il est difficile de comprendre comment ces hommes, qui perçoivent un salaire très modeste d’un Etat qui préfère continuer d’investir dans de grands centres, réussissent à veiller sur 160 personnes en grande difficulté. Et ils le font de leur mieux, car dans le Centre de Târgu Jiu, ce qui « frappe » le plus ce sont les regards et les bras tendus demandant un peu d’attention ou d’affection, mais le personnel ne dispose d’aucun instant pour satisfaire ces demandes.
Les choses ne sont pas prêtes de changer dans le Centre de Târgu Jiu, car l’Etat a décidé, de nouveau, d’investir ici pour augmenter la capacité d’accueil, jusqu’à 190 pensionnaires.
Dans ce contexte, SERA ROMANIA se joint à ceux qui demandent aux institutions agissant dans le secteur de concentrer les fonds structurels du prochain cadre financier pluriannuel 2014-2020 de l’UE, pour le développement de services au sein des communautés et pour la fermeture progressive des centres résidentiels de type « mammouth ».